Marathon des cerisiers

C’est aux alentours du 24 mars, après des jours de grisaille, de froid et de pluie, que le printemps a semblé s’installer pour de bon.

Les cerisiers avaient commencé à fleurir dans la région de Tôkyô et nous avions bien peur que ce sursaut d’hiver ne perturbe le cycle et anéantisse toute chance d’épanouissement des bourgeons.

Mais par ce samedi de début du printemps, quand Lo décida que le moment était venu de « débunkeriser » la chambre, je me suis dit qu’enfin ça y était, on pouvait y croire.

Alors qu’elle détachait les feuilles de papiers bulle et les couvertures de survie qu’elle avait accrochées autour des fenêtres pour tenter d’isoler un minimum la pièce durant l’hiver et que le soleil pénétrai pleinement dans la pièce pour la première fois depuis longtemps, je me mis à réfléchir aux endroits où admirer les cerisiers à la capitale.

J’attaquai mon marathon dès le lendemain.

Sitôt sortie du travail, je me dirigeai vers le fleuve Sumida et le parc du même nom.
Il faisait beau, de ces journées où on se sent bien au soleil mais où il fait encore un peu frais dans les coins ombragés. Du pont d’Asakusa, je pus contempler les berges du fleuve bordées de part et d’autres de cerisiers. Je traversai et commençai à longer la rive ensoleillée jusqu’à atteindre le parc.
Il y avait foule, mais moins que ce l’on aurait pu attendre d’un dimanche après-midi en période de floraison. Et étonnamment, assez peu de touristes.
Partout au pied des cerisiers, les gens avaient étendu des bâches pour pique-niquer tout en profitant du spectacle.
C’est ce qu’on appelle le hanami (« regarder les fleurs ») et qui fait partie intégrante de la vie des Japonais. En famille, entre amis ou entres collègues, tout le monde fait le hanami au moment de la floraison des cerisiers.
Une fois le tour du parc achevé, j’empruntai un autre pont pour repasser de l’autre côté de la rive et revenir à mon point de départ.
Des stands de nourriture de toutes sortes avaient été installés le long des berges.
Peu d’herbe de ce côté-là, ce qui n’empêchait pas les gens d’étendre leur bâche à même le bitume pour pouvoir profiter de l’événement.
Le spectacle est tellement prisé qu’on ne peut pas se permettre de faire le difficile.

Le mardi, j’optai pour le parc d’Ueno.
Je crois n’avoir jamais vu auparavant une telle densité de gens au mètre carré.
C’était hallucinant. Et cette fois-ci, plus de touristes que de Japonais.
Je peinai à me frayer un chemin au milieu de la foule et ne restai pas longtemps car il était impossible d’en profiter vraiment.
De gigantesques bennes à ordures avaient été installées le long de l’allée principale du parc pour que les gens venus faire le hanami puisse se débarrasser de leur déchets.
En voyant le monde, il est clair que de simples poubelles n’y auraient pas suffi.
Je comprenais ceci dit que ce spot soit si prisé, il suffisait de lever les yeux pour s’en convaincre : les cerisiers étaient tellement imposants que les branches de ceux du côté droit de l’allée rejoignaient presque celles du côté gauche, formant une sorte de voûte florale assez féerique. Je pense qu’il est impossible de rester blasé face à un tel spectacle.
Je continuai ma promenade tant bien que mal pour arriver au niveau de l’étang d’Ueno, célèbre pour ses étendues de fleurs de lotus. Je fis le tour de l’étang lui aussi bordé de cerisiers, enviant un peu les couples qui faisaient du pédalo au milieu de ce cadre de rêve, puis rentrai à Nakano.

Le jeudi, je rejoignis après le travail Lo et deux amies françaises qui étaient arrivées à Tôkyô la veille et allaient rester avec nous pour une petite dizaine de jours.
Elle avait eu la bonne idée de les emmener au temple Zôjôji, près de la Tokyo Tower.
L’enceinte du temple était nettement plus praticable que ce que j’avais pu expérimenter l’avant-veille à Ueno et les cerisiers, tout aussi beaux.
Le Zôjôji est entre autres connu pour abriter de très longues rangées de petites statuettes coiffées de bonnets rouges surplombées de cerisiers. Elles représentent les enfants morts que le bodhisattva Jizô prend sous sa protection et conduit au royaume de l’Au-delà.
Au pied de certaines statuettes, on pouvait voir tantôt une peluche, tantôt un jouet ou des petites paires de chaussures, d’autres arboraient un t-shirt que quelque parent endeuillé avait dû leur enfiler. Autant de détails qui rendaient le sens de ces statuettes bien tristement ancré dans la réalité…

Le lendemain, je rejoignis de nouveau les filles, cette fois-ci au parc de Yoyogi pour nous aussi, profiter du hanami ! Lo avait prévu la bâche, il ne nous restait plus qu’à passer par une supérette pour nous approvisionner en bières, gâteaux, biscuits apéritifs et autres cochonneries mauvaises pour la santé.
Nous n’étions manifestement pas les seules à avoir eu cette idée : la foule sous les cerisiers était digne de celle d’une plage de Côte d’Azur en plein mois d’août.
Je parvins malgré tout à faire abstraction des gens alentour pour profiter du moment.
Comme la floraison était sur le déclin, chaque souffle de vent un peu puissant entraînait dans son sillage une pluies de pétales.
C’est vraiment le détail qui tue et qui parachève l’image d’Epinal quand on pense aux fameux cerisiers du Japon. Mais bon, j’avoue, ça en jette !
Le hanami, c’est aussi un peu l’occasion pour les Japonais de laisser leurs inhibitions de côté : l’ambiance est festive, l’alcool coule à flot, on devient copain avec tout le monde…
Ce qui ne veut pas dire pour autant que tout est permis : des policiers municipaux patrouillent dans le parc à l’affût du moindre débordement. A un moment, sans que je comprenne ce qui s’était passé, un groupe de gens installés à quelques mètres de nous se retrouva presque encerclé par cinq de ces policiers. Un homme intervint sur le blouson duquel était écrit « Violene Criminal Investigator » (ce n’est pas moi qui ai fait une faute de frappe – il était vraiment écrit « Violene » et du coup j’ai pensé que cette coquille le décrédibilisait un peu dans son statut…)
Je n’ai pas saisi de quoi il retournait et ça n’avait pas l’air bien méchant mais en tout cas le message était très clair : interdiction de troubler l’ordre public, fête ou pas !

Je conclus mon marathon en apothéose en me rendant le samedi 31 au sanctuaire Yasukuni pour admirer les cerisiers des environs. J’avais décidé de prendre le vélo pour faire des économies et améliorer ma condition physique et si la première partie s’est avérée fructueuse, je ne pense pas pouvoir en dire autant de la seconde avec tout le gaz des pots d’échappement que j’ai inhalé… Enfin il n’y a pas de bonheur parfait et au moins, j’ai pu constater que mon sens de l’orientation s’était légèrement amélioré.

Sans surprise, je n’étais une fois encore pas la seule à avoir eu cette idée…
Je délaissai rapidement le sanctuaire pour me rendre sur la promenade de Chidorigafuchi qui surplombe la rivière. Ce qui fait l’attrait de cet endroit, c’est que les berges sont en pente et les cerisiers y poussent à différents niveaux.
C’était effectivement magnifique.
En aval, des gens profitaient du spectacle depuis des barques et naviguaient tranquillement sans prêter attention à la foule massée le long de l’étroite promenade et où je me retrouvais moi-même coincée. J’aurais bien loué une barque moi aussi mais renonçai en voyant la queue interminable qui se profilait à l’embarcadère.

Je rentrai à la maison à la fois émerveillée par ce que j’avais vu et rincée par les bains de foule successifs qui avaient ponctué cette semaine.

Je crois que la masse de gens attirée par les cerisiers est aussi importante que le spectacle est éphémère et l’un explique sans doute l’autre. La floraison cette année aura duré une dizaine de jours et avait à peu près une semaine d’avance sur les prévisions annoncées.
Quand je pense que certaines personnes prévoient leurs vacances en fonction de cet événement qui dépend des caprices de la météo, je suis vraiment heureuse d’avoir eu la chance d’y assister une deuxième fois dans ma vie. Même si ça m’a coûté quelques bains de foule, le jeu en valait vraiment la chandelle car non, ce n’est pas surestimé et oui, c’est vraiment impressionnant, même à la toute fin, lorsque les pétales s’amoncellent au sol et tapissent les pieds des arbres et des bouts de rues…

Et c’est aussi une belle leçon de vie : profiter des choses tant qu’on peut car rien ne dure éternellement !

5 commentaires sur “Marathon des cerisiers

  1. Ahhh….a much more flowery read…. and for another marathon analogy… refueling !! Bring on the beer !

    I can only stand Asahi when eating japanese food…beyond that, their beer really lack compared to the good stuff we have here…. all friends of mine… Cuvée des Trolls, Chouffe, Maredsous..and my personal favorite – which I believe to be the best beer in the world – Triple Karmeliet.

    The Japanese make good Whisky though… they probably got it from earlier British and Scottish traders. The stuff is a bit expensive here (quite fond of Nikka from the Barrel) …. but must be more affordable over there…. if there »s any room in the suitcase on the way back…. just a thought.

    Cheers,

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    1. Drinking Asahi is basically like drinking water. It has no taste! I plan to visit the Beer museum at Ebisu at the end of the month, I’ll let you know if I find something interesting : )
      I like all the beers you mentionned and the Nikka… Ah! Who would have thought that we share the same tastes when it comes to alcohol ^^

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