Hello Work !

Sous ce slogan au ton enjoué se cache le Pôle-emploi des gaijin.
Le gaijin, c’est l’Autre, la personne de l’extérieur, bref, le non-Japonais.
C’est vous, c’est moi.

Comme hélas je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche, il était temps que je cherche un travail. Il y a bien des sites Internet qui proposent des offres d’emploi mais comme les profils recherchés ont souvent un rapport avec l’informatique ou le fait d’être natif d’un pays anglophone, je décidais de profiter de l’aide des professionnels.

J’ai donc passé une bonne partie de ma journée de mercredi à l’élaboration de mon CV japonais. Quelque part, le fait que je sois dans le pays du conformisme a joué en ma faveur puisque il n’existe qu’un ou deux modèles de CV avec de légères variations et qu’il suffit de remplir les champs. On trouve ces modèles vierges dans n’importe quelle supérette de quartier.

C’est donc équipée de ces sésames et après être passée par la case photomaton (le choix final pour la version retenue entre « le zombie dépressif » et « la condamnée sous THC » n’a pas été facile) que je me suis lancée dans la rédaction de mon parcours ô combien atypique (et pourquoi les photomatons font-ils toujours en sorte qu’on ait l’air de sortir de prison ?!)

Comme j’ai voulu faire les choses bien, la tâche s’est avérée assez ardue.
J’ai même poussé le zèle jusqu’à écrire les dates en fonction du calendrier des ères japonaises (qui correspondent au règne d’un empereur – en ce moment, nous sommes en l’an 30 de l’ère Heisei). En gros, on veut tout savoir de votre entrée à l’école primaire (sans blague) jusqu’à aujourd’hui, notamment les raisons pour lesquelles vous avez quitté vos précédents emplois. Pour l’anecdote, on vous demande aussi votre âge, si vous êtes marié(e) et si vous avez des personnes à charge (quelqu’un a parlé de vie privée ?)

007. Hello Work ! - CV_2

Se posait la question cruciale de la tenue : une Japonaise aura tout intérêt à y aller en tailleur noir avec une chemise blanche (ou pastelle, soyons fous),  et des ballerines ou escarpins noirs. Mais une gaijin ? Je ne savais pas trop ce que l’on attendrait de moi et privilégiant le confort et l’efficacité, je n’avais rien emporté de tel dans mes bagages.
J’ai opté pour un jean et une veste noirs, un sous-pull blanc et des ballerines noires en me disant « ça va le faire » (ou, comme ils disent à Okinawa : « nankurunaisa »)

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je me suis perdue en chemin. J’avais pourtant photographié un plan trouvé sur Internet avec mon téléphone, ce qui ne m’a pas empêchée de tourner en rond dans Kabukichô (le quartier chaud de Shinjuku) pendant près d’une demi-heure (oui, ils ont installé le Pôle-emploi des étrangers près des bars à hôtesses et autres hôtels de passe…) En soi, ça n’aurait pas été gênant puisque je n’avais pas rendez-vous, mais le fait est qu’il pleuvait des trombes d’eau et que le vent soufflait en rafales. Découragée et transie de froid, j’ai fini par demander mon chemin toute penaude au poste de police du coin. Un représentant des forces de l’ordre fort aimable m’a indiqué un endroit devant lequel j’avais dû passer au moins deux fois (ahem) et j’ai fini par arriver à destination.

J’ai fait un petit tour aux toilettes avant de m’annoncer pour constater avec effroi que l’épi rebelle que j’avais réussi à dompter le matin était revenu à la charge, plus hirsute que jamais. Tant pis, il n’y avait pas grand-chose à faire…

Je suis allée me présenter, on m’a fait remplir un formulaire avec mes coordonnées et le type d’emploi que je recherchais (j’ai mis « ten.in », c’est pratique, c’est un mot un peu fourre-tout qui peut aussi bien s’utiliser pour un employé de restaurant que pour un vendeur en magasin). Mes mains étaient tout engourdies par le froid et l’humidité et j’ai eu toutes les peines du monde à écrire des kanji lisibles (étrangère, gauchère ET frigorifiée, je cumulais les handicaps !)

Le temps que l’on me reçoive, j’en ai profité pour observer ce qui m’entourait.
Il faut croire que j’avais eu une bonne intuition en visant l’heure du déjeuner car il n’y avait pas foule et les quelques personnes présentes n’avaient manifestement pas fait de grands efforts vestimentaires, peut-être que je m’étais inquiétée pour rien.
Quant à l’endroit, sans aller jusqu’à dire qu’il était vétuste, ce n’était clairement pas le mieux entretenu que j’aie vu jusqu’à présent. Il en émanait un petit côté désuet et poussiéreux.

J’ai assez vite été reçue par une dame charmante qui semblait approcher de l’âge de la retraite. Tout se passait comme sur des roulettes jusqu’à ce que je lui dise que je n’étais à Tôkyô que pour deux mois, voire jusqu’à la fin de la première semaine de mai, maximum. Elle était manifestement fort embêtée et m’a expliqué qu’il était difficile de trouver un emploi pour si peu de temps. Les employeurs ne veulent pas « perdre » leur temps à former quelqu’un qui ne restera pas longtemps, ce que je conçois tout à fait.
Elle s’est tellement décarcassée pour me trouver quelque chose qu’au final, je culpabilisais presque de représenter un tel challenge…
Puis, la machine a fini par lui cracher deux possibilités.
La première, dans un restaurant traditionnel où le personnel porte le kimono (ça pourrait être intéressant) et la seconde au bar d’un hôtel plutôt chic dans un quartier touristique.

Elle a appelé les patrons l’un après l’autre pour les informer qu’elle avait une postulante « bien comme il faut » mais que je n’étais là que pour deux mois et donc voilà blablabla.
Ils ont demandé à me parler et c’est dans un état proche de la tétanie que j’ai saisi le combiné. Je ne suis pas à l’aise avec le téléphone, et encore moins dans une langue étrangère ! Les conversations se sont finalement bien passées (je crois qu’il faut me mettre au pied du mur parce que seule, je n’ose jamais me lancer).
Le premier ne pouvait rien me promettre mais il m’a demandé de lui faire parvenir mon CV et ma photo par mail pour aviser avec ses succursales et le second m’a carrément fixé un rendez-vous pour un entretien le samedi sur l’heure du déjeuner.

J’étais bien reconnaissante à ma conseillère à qui j’avais vraiment donné du fil à retordre de s’être autant investie pour me dénicher quelque chose et que je ne reparte pas bredouille. Avant que je ne m’en aille, elle m’a dit : « vous savez, Camille-san, si ces pistes ne sont pas concluantes, il faudra peut-être mentir lors de prochains entretiens…
– Mentir ?!
– Disons, par omission. En ne précisant pas que vous ne restez que deux mois.
– Mais ça ne risque pas de poser de problème au niveau du contrat ?
– Bah, avec les étrangers en working holidays, ils ont l’habitude.
Ils se font une raison. »

Je n’en suis pas revenue qu’une représentante de l’administration m’encourage presque à être déloyale. J’aimerais ne pas en arriver là, ne serait-ce que pour ne pas lui causer indirectement du tort pour avoir envoyé une gaijin peu fiable, mais si je n’ai pas d’autre choix, je le ferai.
J’ai un peu la pression parce que plus le temps passe, plus les chances de trouver quelque chose s’amenuisent. J’ai besoin de travailler et je n’ai vraiment pas envie de passer la moitié de l’année à Tôkyô, je suis initialement venue ici pour découvrir d’autres régions.

C’est avec moult expressions de gratitude que j’ai pris congé, sous les encouragements et recommandations de ma conseillère.

Espérons que l’entretien de samedi soit concluant !
Ou, à défaut, qu’il débouche sur autre chose…

8 commentaires sur “Hello Work !

  1. Respire à fond ma Filoute et vas-y gonflée à bloc à ce rendez-vous. Ils vont forcément tomber sous le charme et tu as des chances de devenir la reine des cocktails, yeah ! Ils doivent bien être sensibles aussi à la French Touch, non ?

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    1. Tu leur dis que tu n’aimes pas l’;alcool, ils se disent elle n;y comprend rien, t’es pas embauchee. Tu leur dis que tu aimes l’alcool, ils se disent elle va boire le fond de commerce, t’es pas embauchee. Essaye un bar d’eau.

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      1. Merci pour tes précieux conseils plein de bon sens, CCC ! (n’empêche, je ne serais pas étonnée qu’un tel concept existe au Japon…)

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  2. On a hâte de savoir comment ça va se passer dans ton futur job ! On pense bien fort à toi et on te suit pas à pas dans tes pérégrinations nippones. bisous de Marraine

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    1. Coucou Marraine ! Merci pour le message. J’ai bien vu que tu avais essayé à plusieurs reprises de me contacter par Skype mais le réseau ici n’est décidément pas génial et c’est assez compliqué avec Internet… : / J’essaierai de te rappeler bientôt ! Gros bisous. ; )

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